La théorie du cheval mort

Je viens de découvrir la théorie du cheval mort, et c’est d’une absurdité brillante.
Le principe est simple : quand le cheval est mort, inutile d’essayer de le monter. Pourtant, en design graphique, on se retrouve souvent à battre ce fameux cheval mort, s’acharnant à faire fonctionner une idée alors qu’au fond, on sait pertinemment que c’est peine perdue.
Toutefois, reconnaître un cheval mort n’est pas toujours évident. On est souvent trop proche du processus créatif, émotionnellement impliqué ou simplement prisonnier de nos habitudes. Voilà pourquoi la collaboration est essentielle : elle permet à chacun de prendre du recul, d’identifier les impasses plus rapidement et d’éviter ainsi bien des frustrations.
Comment reconnaître un cheval mort en design graphique ?
Voici quelques cas courants aussi absurdes que familiers :
Le logo immortel
Un logo des années 80 qui a subi toutes les tortures imaginables sous Photoshop : biseau, relief, ombres portées, dégradés multiples… mais que le client refuse obstinément d’abandonner sous prétexte qu’il fait partie de son histoire. Pourtant, les pagettes aussi faisaient partie de notre histoire, mais on est passé à autre chose.
La maquette surchargée
À l’origine épurée, cette maquette s’est vue alourdie au fil des révisions : un énorme QR code, des drapeaux flottants, des images détourées maladroitement et un pavé illisible de mentions légales. La dernière tentative de sauvetage ? Ajouter une ombre portée plus forte… évidemment !
La tragédie typographique
Une identité visuelle où les titres sont en Papyrus (« c’est élégant »), les paragraphes en Brush Script (« ça fait humain ») et les appels à l’action en Impact (« ça attire l’attention »). Aucun réglage d’interlignage ou de crénage ne pourra sauver ce désastre typographique, mais on persiste à déplacer des virgules en espérant un miracle.
La demande client impossible
« On voudrait une affiche qui claque mais reste classique, moderne mais intemporelle, minimaliste mais très détaillée. » Chaque nouvelle version ajoute une couche jusqu’à obtenir une créature visuelle de Frankenstein. Et bien sûr, la demande finale : « Vous pourriez juste changer un peu la couleur ? » Non. C’est terminé. Le cheval est mort.
La bannière immortelle
Une bannière web en Comic Sans que le client défend farouchement (« elle fonctionne très bien ! » – sans jamais avoir de données pour le prouver). Pour tenter de lui donner un coup de neuf, on y ajoute un clipart de drapeau canadien et un dégradé arc-en-ciel. Résultat ? On vient d’embaumer le cheval plutôt que de lui dire adieu.
Pourquoi s’acharner sur un cheval mort ?
Plusieurs raisons expliquent cet acharnement :
- Le biais des coûts irrécupérables — « On a déjà investi tellement de temps, on ne peut plus abandonner ! » (Mais si, on peut.)
- La peur du changement – « Ce visuel est connu, le changer serait risqué ! » (Les cassettes VHS aussi étaient connues…)
- L‘attachement affectif – « Mais j’adore ce design de 1997 ! » (La nostalgie n’est pas un principe graphique.)
- L’espoir absurde – « Encore un petit ajustement et ça marchera ! » (Non, malheureusement.)
Savoir lâcher prise
Un bon design ne consiste pas seulement à produire quelque chose d’esthétique, mais aussi à savoir s’arrêter à temps. Lorsque le projet ne fonctionne plus, que l’identité visuelle ne sert plus son objectif ou que la direction créative est devenue méconnaissable, il vaut souvent mieux repartir à zéro.
Cette prise de recul vient généralement grâce à une collaboration efficace. Les échanges et regards croisés permettent de voir plus clairement quand il est temps de lâcher prise, économisant du temps, des ressources et améliorant le résultat final.
Alors la prochaine fois que vous ajouterez une ombre portée inutile ou que vous tenterez de convaincre un client qu’un visuel dépassé est « vintage », rappelez-vous ceci :
Descendez du cheval. Organisez-lui des funérailles dignes. Et passez à autre chose.
Et vous, avez-vous déjà croisé des chevaux morts ?
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